Une Histoire

des voiles et des grands espaces

Au commencement

Philippe Schiller, né le dimanche 20 mars 1966 à Genève, est du signe du poisson et en astrologie chinoise, du cheval de feu. Les astres ont prévenu : sa vie sera faite d’eau, de conquêtes et de grands espaces.
Son enfance s’écoule heureuse, aussi active sur les bords du lac Léman que dans les montagnes avoisinantes. Son père, chef d’entreprise à Genève, est un passionné de sport automobile. Pilote de course, il court les 24 heures du Mans, les Mille Miglia et les circuits de Formule 1 comme pilote de l’usine Porsche. Il décroche le titre de champion d’Europe de la montagne. Dans cet environnement sportif et entrepreneuriale porteur, Philippe développe un goût affirmé pour la compétition et l’engagement.

Naissance d'une vocation

Lors d’une semaine blanche à la montagne, Disque d’or, le film de Pierre Feldman, est projeté ; le tout jeune collégien est subjugué par les images et le récit incroyable de la Whitbread Round the World Race. Il se fascine alors pour la voile sans savoir que dix ans plus tard, il sera, lui-même, embarqué sur la Whitbread, pour une course mémorable autour du monde en équipage. Il entre alors au Club Nautique de Versoix, il a douze ans. Quelques semaines plus tard, la passion s’ancre définitivement à l’école de voile de Rudevent, basée sur l’Île d’Arz dans le golfe du Morbihan. Les sensations fortes de liberté et de communion avec les éléments qu’il éprouve sont une véritable révélation qui le nourrira toute sa vie. C’est tout naturellement qu’il entre en sport étude voile au collège Calvin où il découvre les subtilités grisantes de la compétition.

Du tour de France à la Voile aux championnats du monde 5o5

En 1981, il est un jeune régatier investi et assidu aux entraînements. Il navigue d’abord en Yngling et fait sur ce quillard de 6,35m sa première vraie expérience du haut niveau. Il rencontre l’élite de la voile sur les championnats d’Europe d’Horn en Hollande et du monde à Genève. Avec son gabarit athlétique, Philippe recherche un bateau plus acrobatique et s’oriente naturellement vers le roi des dériveurs : le 5o5. Avec son coéquipier, Thomas Jundt, il participe aux circuits européens et aux championnats du monde. Dominique Habegger, son coéquipier en Yngling, engagé sur le Tour de France à la Voile avec « Ville de Genève, sélectionne Philippe et Thomas. Philippe accédera au poste de navigateur sur « Ville de Genève. Ces marins d’eau douce donneront parfois du fil à retordre aux marins Français en décrochant une magnifique seconde place, avec Dominique Wavre en 1982. Ces équipiers, tous copains d’enfance, feront ensemble pas moins de sept Tours de France jusqu’en 1988.

Australie, course au large et un premier titre

Grâce aux mondiaux de 5o5, il a découvert l’Australie. Sur ce continent de grands marins, il se prend de passion pour la course au large où il retrouve l’exigence de la haute montagne et la solidarité de la cordée. Il participe à de nombreuses courses océaniques avec des équipages de toutes les nationalités. Il remporte la Round Australian Race, une course au large en équipage de 6 500 miles.
Il s’engage avec un équipage australien sur une transpacifique, la Auckland-Fukuoka. Suite à une rupture de safran, ils abandonnent dans les îles Salomon. Philippe est alors recruté pour la dernière étape de la traversée par un équipage japonais pour remplacer leur skipper néo-zélandais. Il met à profit l’expérience de navigation acquise dans les difficiles étapes bretonnes de ses sept Tours de France où les courants et les rochers sont nombreux. À quelques jours de l’arrivée, il se livre un audacieux exercice de “rase-cailloux » à travers une multitude d’îlots japonais et remonte à la 4e place.
À la fin de cette année 1988, il s’engage dans la célèbre Sydney Hobart sur Otela, un bateau néo-zélandais. L’équipage doit abandonner après qu’un équipier se soit grièvement blessé. Durant cette année, de nombreux miles furent parcourus et pour la première fois avec des équipages internationaux.

1988 L'année de tous les dangers

Si cette année 1988, fut riche en expériences sportives, elle fut aussi celle des expériences périlleuses. En février, Philippe participe à la Trans Tasman Race sur Adélie, un sloop de 12 mètres. En pleine course, un coup de vent dégénère en cyclone et dévaste les côtes de la Nouvelle-Zélande. Quand le cyclone rattrape la flotte, l’aventure sportive tourne soudain au cauchemar. Dans les premières 24 heures, le décès de deux compétiteurs est annoncé sur les ondes, de nombreux bateaux se retrouvent en perdition, les appels de détresse se multiplient et avec eux les abandons. Sur Adélie, l’équipage rudement malmené survie à une mer apocalyptique. Des rafales terrifiantes hurlent, jour et nuit et des déferlantes monstrueuses couchent sans cesse le bateau à l’horizontale pendant trois jours. Exténué, l’équipage réussit à terminer la course sain et sauf.
Un mois plus tard, Philippe est à nouveau en mer de Tasmanie. Il convoie D-Flawless, un grand catamaran de sport de retour de la Trans Tasman Race. En fin de soirée, une gigantesque baleine heurte brutalement le bateau et arrache littéralement toute une partie de la coque. Après de vains efforts, le 19 mars, le bateau coule à deux heures du matin dans des conditions dantesques. L’équipage se réfugie in extremis et au complet dans le canot de survie. D’abord considéré perdu, l’équipage est finalement repéré, 24 h plus tard, par les gardes-côtes et mis à l’abri après un hélitreuillage plus que mouvementé.

Photographie de voile: première consécration

C’est lors de cette course que Philippe révèle son autre talent : la photographie. Pour réaliser ses prises de vue, il n’hésite pas à braver les embruns et à grimper en haut du mât ou en bout du tangon. Il révèle au grand public le monde jusque-là mal connu de la course au large, en livrant des images vivantes et fortes d’émotion. 
Alors qu’il est en courses, Merit est détourné pour porter secours à l’équipage de Martela qui a chaviré au large du Cap Horn. Arrivé sur place, l’équipage s’est réfugié sur la coque du bateau retourné. Il immortalise l’évènement de plusieurs photos qui feront le tour du monde. L’une d’elles fera la une du New York Time. Ses clichés reçoivent de nombreux prix internationaux. 

18 pieds Australien : l'expérience de la vitesse​

Après un tour de l’Europe sur Defender en 1990, il retourne rapidement dans l’hémisphère sud, sa nouvelle terre d’aventure. Si ces années en Australie sont marquées par l’expérience du grand large, elles le sont aussi par la découverte d’un des dériveurs légers les plus extrêmes : le 18’ Australien. Cet incroyable bateau, surtoilé, doté d’échelles démesurées, exigent et ardent, permet des surfs inédits pour l’époque. Il fait l’acquisition de Half Way To Heaven et s’engage sur le circuit des grands prix des 18’ Australiens. Il remporte la coupe du monde à Sydney en 1993, battant les meilleurs marins de l’hémisphère sud sur leur propre terrain de jeu. Victoire prémonitoire, puisque dix ans plus tard, c’est dans l’hémisphère sud que des Suisses viendront conquérir la coupe de l’América. Les longs surfs du 18′, ses accélérations vives, ses vitesses grisantes et les sensations plus fines qu’il demande, décideront d’une orientation sportive résolument centrée sur la performance et la régate au contact. De là, naîtra une passion pour cette approche de la voile qui restera intacte jusqu’à aujourd’hui.

Whitbread 1994 : seconde participation

En 1994, La Whitbread Race fait étape à Perth. Philippe rencontre sur les pontons Eugene Platon, le skipper d’Hetman Sahaidachny. Les mers du sud autorisant des équipages plus lourds, le skipper ukrainien souhaite profiter de cette étape pour embarquer un coureur déjà connaisseur des exigences des mers du sud. Il recherche un barreur-régleur expérimenté. Le courant passe entre les deux hommes. Philippe embarque dans la foulée et apporte sa connaissance des rythmes des navigations australes.
A bord du WOR60 ukrainien, l’ambiance est excellente, très chaleureuse, exempte de toute compétition interne. Les Ukrainiens viennent tout juste de voir les portes des pays de l’Est s’ouvrirent, ils sont les premiers à partir à la découverte de l’Ouest. Ils veulent découvrir des cultures inaccessibles jusque-là, des approches nouvelles. Leur ouverture d’esprit et leur curiosité sont sans bornes. Philippe est le seul étranger au milieu de cet équipage composé exclusivement d’Ukrainiens dont certains ne parlent pas l’anglais. L’immersion soudaine dans cet équipage où il ne connaît personne restera une expérience humaine inoubliable.
A bord, nous sommes loin de la rigueur des équipages anglo-saxons et l’équipage n’en était pas à couper sa brosse à dents. Bien au contraire, au milieu du carré se balance un jambon ukrainien, Philippe habitué à la chasse au poids se demandera tous les jours pourquoi a-t-on embarqué l’os du jambon. Plus drôle, un secret de polichinelle court à bord : il y aurait à bord une bouteille de vodka maison. Le mystérieux breuvage, vu son degré d’alcool, se révéla finalement plus facile à dénicher qu’à boire. La cohésion inédite de l’équipage tenait certainement aussi au fait qu’ils étaient tous d’anciens cadres volontaires lors de la catastrophe de Tchernobyl. L’Etat Ukrainien avait financé leur projet voile en récompense de leurs bons et loyaux services.
Au sortir des mers du sud, la mission de Philippe est terminée, il quitte l’équipage des souvenirs pleins la tête. Le bateau Ukrainien terminera son aventure en décrochant un magnifique dixième place.

Retour au pays

En 1995, Philippe est de retour en Suisse. Il éprouve la joie de retrouver ses racines, sa culture, ses repères, et bien sûr ses proches. Commencent alors des années de réalisations personnelles : il se marie, fonde une famille, s’installe à Cologny et développe une nouvelle activité professionnelle de photographe d’entreprise et d’architecture. Sur les pontons de la Société Nautique de Genève, il rencontre Ernesto Bertarelli qui développe Alinghi et devient le photographe officiel du groupe Merck-Serono.

America's Cup : l'aventure Alinghi

Loin des grandes houles et des vents furieux des mers du sud, il retrouve le calme olympien du Léman et ses navigations si subtiles. Avec son 18’, il fait sensation sur les bords du Lac encore peu habitués à cette silhouette de bateau peu conventionnelle.

Il remporte le très convoité Bol d’Or en 1995, tourne sur les circuits européens de la business voile et est, entre autres, marin embarqué sur le One design d’Alinghi.

Il développe en parallèle son propre 18’ Australien : Halfway to heaven. A son bord, il court des courses du circuit des 18’ et les principales courses lémaniques.

Il devient alors le photographe officiel du team Alinghi et suit l’équipage à travers le monde dans ses campagnes pour l’America’s cup.

Photographie : vers un style affirmé

Durant ces années, il professionnalise un peu plus encore son activité de photographe. En plus d’Alinghi, il devient le photographe officiel d’autres équipages. Il explore de nouveaux styles : abstraits, architecture, lifestyle, portrait. Il affirme un style plus artistique, traduisant des émotions intenses donnant à ces photos un caractère original, jouant des effets de matière et des reliefs. Il travaille pour les plus grandes entreprises suisses dans l’industrie pharmaceutique, la banque et l’horlogerie. Il livre des photos d’architecture ou de lifestyle, des portraits de grand dirigeant (s ???).

Il publie divers ouvrages collectifs en photo. ???

Halfway to heaven : des foils précurseurs sur un 18 pieds australien
Passionné d’innovation, Philippe rêve de faire voler son 18′.

En 2009, il adapte et développe des foils de Moth sur “Halfway to Heaven ». Le bateau décolle sur ses foils, libérant le 18’ de sa traînée hydrodynamique : les résultats dépassent toutes les attentes. Les vitesses atteintes sont vertigineuses, 25 nœuds au portant avec des pointes à 30, soit près de 54km/h. Si le bateau est extrêmement rapide une fois sur ses foils, il est aussi particulièrement difficile à manier. Son instabilité est à la mesure des vitesses atteintes, les équilibres sont précaires et la navigation est souvent périlleuse. Le bateau s’engage sur les principales courses lémaniques.

Pi28 : conception et vol du premier grand monocoque à foils

En marge de ces essais, le skipper genevois cofonde en 2009 le projet Pi 28. L’objectif était de faire voler grâce à des foils un monocoque de grande taille. Le projet était particulièrement ambitieux et précurseur. En effet, les technologies développées alors étaient encore balbutiantes : seuls les moths à foil, des dériveurs ultra-légers de 32 kg, réussissaient cette prouesse. Cette aventure technologique l’amène à concevoir et réaliser, avec l’ingénieur Hugues de Turckheim et l’architecte naval Sebastien Schmit, un nouveau prototype.
Ce monocoque met en œuvre des innovations à l’avant-garde des évolutions actuelles. Il navigue au-dessus de l’eau, grâce une structure de foils porteurs innovante. Enfin et surtout, il est propulsé par une voile à profil épais ; un concept inédit qui sera plus tard breveté. Après deux ans de recherches de financement, de conception et de test, le bateau est mis à l’eau en mars 2011 et participe à trois éditions du Bol d’Or dans la catégorie “prototype”.

Tacticien embarqué

Durant ces années consacrées à la conception de plusieurs prototypes, il participe à de nombreuses courses et régates, le plus souvent comme tacticien. Il fait ses premières expériences des classiques aux Voiles de Saint-Tropez, aux régates royales de Cannes, à la Vele d’Epoca Imperia et la Panaraï Trophy comme tacticien d’Elsinor 8M J, un plan Holm de 1930 et de Mariska 15M J, un plan Fife de 1912.

7 championnats du monde en Moth à foils

À partir des années 2011, la voile internationale vit une grande révolution avec l’introduction des foils sur les futurs AC72 de l’America’s cup. Dans ce sillage, il fait l’acquisition d’un premier Moth à foil et s’engage sur les courses du circuit. Il court ses premiers championnats du monde à Lake Macquarie en Australie. En 8 ans, il participe à 7 championnats du monde de Moth et à la plupart des courses du circuit en Europe. 

2018, premier titre en Moth

En août 2018, il décroche son premier titre en Moth et est sacré champion de Suisse 2018. Il clôt la saison par une magnifique 4e place lors de la Martinique Flying Regatta. 

Actuellement, il prépare la saison 2019 et s’entraîne en baie de Palma ou sur le lac Léman. 

Il participe également auprès du designer Tristan Trajanau au développement d’un nouveau prototype de Moth, le « Humingbird H-13 design ». 

En marge de son activité de marin, il poursuit son activité de photographe professionnel pour des entreprises internationales, principalement Suisses. Depuis toujours, adepte de la haute-montagne, il participe chaque année avec deux anciens coéquipiers de la Whitbread, Vincent Gillioz et Christophe Berthoud à la célèbre patrouille des glaciers (100km, 4000 m de dénivelé, parcourus en près de 16h).